En 1968, Paul Montel est toujours directeur de l’IHP et le restera jusqu’à sa mort en 1975, à 98 ans ! Paul Belgodère, responsable de la bibliothèque, est aussi secrétaire général de l’institut, qu’il tient de main ferme pendant les événements de mai.
Ce n’est pas tant l’agitation politique dans les murs de l’IHP qui marque une rupture mais la loi Faure du 12 novembre 1968, qui entérine l’éclatement de l’Université de Paris et par conséquent la disparition de la Faculté des sciences, dont l’IHP était un bien propre. L’institut perd ainsi son existence juridique, et ses moyens de fonctionnement.
Dans les années 1970-1980, le bâtiment est administré par la Chancellerie des universités de Paris et son usage se disperse. Nombre de mathématiciens ont rejoint les nouveaux campus de Jussieu et d’Orsay, à l’exception notable de René Deheuvels, Pierre Lelong, Paul Malliavin et Charles Pisot. Ce dernier succède à Montel comme directeur de l’IHP, malgré son absence de statut. En ce qui concerne la physique théorique, Jean-Pierre Vigier conserve une équipe à l’IHP après avoir été assistant auprès de Louis de Broglie.
Dans la foulée de sa création (houleuse) en 1971 par Jean Teillac, successeur de Frédéric Joliot-Curie au Collège de France et à l’Institut du radium, l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) s’installe à l’IHP jusqu’en 1981. En contrepartie, l’IN2P3 finance de nouveaux espaces à ses frais : le 1er étage est agrandi de 300 m2, à l’intérieur du U que forme le bâtiment (c’est de là que viennent la salle de lecture et les bureaux en mezzanine de la bibliothèque actuelle).
À la fin des années 1970, les principaux occupants de l’IHP sont l’École pratique des hautes études (EPHE), l’Institut de sciences mathématiques et économiques appliquées (ISMEA), l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), avec son Centre d’études nord-américaines ou son Centre de recherches sur le Japon qui n’ont plus rien à voir avec le périmètre de l’IHP.
Quand Paul Belgodère prend sa retraite fin février 1986, Denise Lardeux est en retraite depuis de nombreuses années mais continue à travailler comme bénévole à temps plein pour la bibliothèque. Hélène Nocton arrive en 1987 comme nouvelle responsable de la bibliothèque. Sa première impression n’est guère engageante : « Pour quelqu’un de ma génération, l’IHP était le symbole de toute l’indifférence des mathématiciens par rapport aux questions matérielles. Un institut complètement délabré dont la gestion se faisait n’importe comment, qui avait sombré dans une espèce de maniaquerie administrative…» .
Cependant, quelques-uns d’entre eux se mobilisent pour sauver l’IHP. Cela a commencé en 1982 avec la création d’une association loi 1901 par Jean-Pierre Aubin, à la suite d’une mission confiée par le Directeur de la recherche du Ministère de l’éducation nationale. Nommée « Institut Henri Poincaré », cette association lui redonne un statut juridique. Elle implique des représentants de la Direction de la recherche, de l’Académie des sciences, du Collège de France, du CNRS, de la SMF, du CIMPA, du CIRM etc.
Quelques années plus tard, l’association est reprise par Nicole El Karoui, qui se voit également confier avec Bernard Teissier un projet d’unité de service CNRS, surtout centré sur la bibliothèque de l’IHP. Le physicien Bernard Julia est à leurs côtés pour faire revivre l’IHP. Sur le terrain, Hélène Nocton et son collègue Dominique Dartron s’activent, non seulement à faire évoluer la bibliothèque (c’est le moment du passage des répertoires en fiches cartonnées à l’informatique) mais à organiser à des séminaires.
Fin 1988, Michel Demazure est sollicité par Lionel Jospin, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, pour un rapport sur la situation des mathématiques en France et de l’IHP en particulier. Un « groupement d’intérêts publics » (GIP) est envisagé . C’est finalement le statut d’école interne de l’Université Paris VI, au sens du Code de l’éducation, qui sera retenu. Il est officialisé par décret le 28 février 1990.
Demazure obtient de plus auprès du Ministère une vingtaine de millions de francs pour refonder la « maison des mathématiques dénommée Institut Henri-Poincaré» autour de trois idées : sauvegarder et développer la bibliothèque, créer un centre de recherche à thèmes annuels (tel qu’imaginé par El Karoui et Teissier, sur le modèle du MSRI à Berkeley), et créer un lieu d’ouverture des mathématiques vers le public. D’importants travaux sont engagés. Le projet est confié à Pierre Grisvard, qui devient ainsi directeur de l’IHP en 1990, jusqu’à sa mort prématurée en 1994.
La renaissance officielle de l’IHP a lieu en 1994 avec de nouveaux protagonistes. Joseph Oesterlé a succédé à Grisvard comme directeur et, lors de l’inauguration du bâtiment rénové et restructuré (la bibliothèque étant redescendue au 1er étage), le ruban est coupé par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche d’alors, François Fillon.
C’est en particulier la naissance du centre de recherche à thèmes appelé Centre Émile Borel. Il organise son premier programme thématique de février à juillet 1994 avec François Laudenbach et Claude Viterbo sur la géométrie symplectique. Les trimestres thématiques sélectionnés par le Comité de programmation scientifique de l’IHP se succèdent depuis lors.
L’IHP acquiert un second statut le 1er janvier 1995, réminiscence du projet confié à El Karoui et Teissier : celui d’unité mixte de service entre le CNRS et l’Université Pierre et Marie Curie. Depuis cette date, le directeur ou la directrice de l’IHP est nommé·e conjointement par le ou la ministre de l’enseignement supérieur (pour le statut d’école) et le ou la président·e du CNRS.
En 1999, le nouveau directeur de l’IHP Michel Broué fait renommer l’association « Institut Henri Poincaré » en « Publications de l’Institut Henri Poincaré » et redéfinir son objet : il s’agit de « développer, animer et coordonner des activités d'édition en mathématiques et en physique, et de soutenir le développement de l'Institut Henri Poincaré ». L’association se concentre désormais sur les Annales de l’Institut Henri Poincaré.
Les 20 ans de la refondation de l’IHP sont célébrés le 17 octobre 2014 par son directeur depuis 2009, Cédric Villani et son directeur adjoint Jean-Philippe Uzan en présence de nombreux acteurs et témoins de cette époque.
Citons pour finir les directeurs adjoints qui se sont succédé, quelque peu dans l’ombre des directeurs, entre 1994 et 2014 :
- Bertrand Duplantier, de 1994 à 1999
- Alain Comtet, de 2000 à 2009
- Jorge Kurchan, de 2010 à 2013
- Jean-Philippe Uzan, de 2013 à 2017