La Maison Poincaré est le fruit d’une ambition collective, portée par des dizaines de volontaires enthousiastes, chercheurs et chercheuses, enseignant·es, médiateurs et médiatrices, accompagné·es par des professionnel·les de la muséographie et de la scénographie. Sise au cœur d’un institut dédié aux échanges scientifiques depuis près d’un siècle, centre international nommé en l’honneur du grand savant Henri Poincaré, la Maison Poincaré vise à offrir un visage humain, ou plutôt toutes sortes de visages humains aux mathématiques.
Le fil qui la sous-tend est de montrer que les mathématiques constituent une science vivante et universelle, en interaction permanente avec les autres sciences et la société. La Maison Poincaré se veut ainsi fidèle à un double héritage. Celui d’abord du fondateur de l’Institut Henri Poincaré, le mathématicien Émile Borel, qui œuvrait à « amener, non seulement les élèves, mais aussi les professeurs, mais surtout l’esprit public à une notion plus exacte de ce que sont les Mathématiques et du rôle qu’elles jouent réellement dans la vie moderne »[1]. L’héritage aussi de son confrère le physicien Jean Perrin, prix Nobel 1926 dont l’ancien laboratoire forme le creuset accueillant la Maison Poincaré et à qui l’on doit la création du CNRS comme du Palais de la Découverte.
Il y a de nos jours sur Terre des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes dont le métier est de « faire des mathématiques ». Un métier que ces personnes adorent en général, et pour lequel elles se rencontrent et échangent en permanence, aux quatre coins du monde. Par la force de leur imagination et de leurs raisonnements elles avancent, parfois à pas de fourmi, parfois à pas de géant, dans l’élaboration de théories et d’outils fabuleux. Les inventions mathématiques sont le plus souvent insoupçonnées du public, jusqu’à ce qu’on leur découvre des applications inattendues.
Car oui les choses ont bien changé depuis Pythagore, ce savant de l’antiquité dont le nom est associé au plus fameux des théorèmes. Elles ont bien changé aussi depuis les travaux solitaires de Fermat au XVIIème siècle, découvreur d’un théorème qui n’en était pas un avant qu’un mathématicien du XXème siècle parvienne à le démontrer. Elles ont indéniablement encore changé depuis le temps de Borel et de Perrin, où la science en général et les mathématiques en particulier étaient réservées à une petite élite. Une élite essentiellement masculine, qui cantonnait innocemment les filles et les femmes à des mathématiques simplifiées ou aux calculs, pour lesquels on leur reconnaissait un certain talent, ou encore à la géométrie appliquée à la broderie et autres « travaux d’agréments pour dames »[2].
Car en effet les mathématiques ne sont plus l’apanage des hommes, même si les stéréotypes ont la vie dure. Mais qui sont ces mathématiciens et mathématiciennes modernes ? Que font ils, comment travaillent-elles ? L’essayiste polyglotte George Steiner disait : « Pendant toute ma vie j’étais très jaloux des mathématiciens et des musiciens. Pourquoi ? Parce que ce sont là des langues vraiment universelles, que l’on n’a pas besoin de traduire. »
La Maison Poincaré entend faire aimer la langue universelle des mathématiques, en présentant notamment quelques uns de ses locuteurs et quelques unes de ses locutrices. Le choix a été difficile, car les mathématiciens et mathématiciennes ont des personnalités fort variées, bien au delà des clichés, et apportent leurs contributions dans des domaines tout aussi variés. Un choix assumé dès le départ a été de présenter autant de femmes que d’hommes.
Ce choix a d’abord conduit à faire le portrait de deux femmes et deux hommes remarquables, célébrités méconnues dont le destin fut tragiquement lié aux fléaux modernes. Emmy Noether, une allemande pionnière et autrice de concepts fondamentaux en physique théorique et en algèbre, qui fut chassée de son poste universitaire par le régime nazi et dut s’exiler aux États-Unis. Srinivasa Ramanujan, un indien quasiment autodidacte aux intuitions fulgurantes et dont l’héritage est considérable en analyse et en théorie des nombres, qui mourut prématurément après quelques années passées à Cambridge. Alan Turing, un anglais fondateur de l’informatique théorique, qui contribua de façon cruciale au renseignement britannique pendant la seconde guerre mondiale et fut condamné à un traitement inhumain par la justice en raison de son homosexualité. Maryam Mirzakhani, une iranienne dont le parcours brillantissime dans son pays puis dans les meilleures universités américaines et les contributions exceptionnelles en géométrie complexe furent stoppés net par le cancer, qui l’emporta à seulement 40 ans.
Au delà de ces destinées romanesques, dont ce n’est pas un hasard si elles ont donné lieu à des biographies fouillées et même à des films de cinéma[3], la Maison Poincaré présente des profils variés de personnalités bien vivantes, aussi bien de chercheurs et chercheuses que de personnes dont le parcours est à forte dominante mathématique sans nécessairement être dédié à produire de nouvelles connaissances.
Car les professions ouvertes à qui possède un bagage mathématique sont nombreuses. Certaines sont consacrées directement à la transmission des mathématiques aux générations futures, au travers de l’enseignement mais aussi de toutes sortes d’initiatives de diffusion/médiation/popularisation/vulgarisation. D’autres professions concernent les sciences proches et/ou utilisatrices de mathématiques (physique et informatique notamment, mais aussi et de plus en plus, les sciences de la vie), ou encore diverses applications technologiques.
Au travers de vidéos, photos, textes et dispositifs interactifs, la Maison Poincaré ouvre de multiples portes vers le monde des femmes et des hommes qui pratiquent avec délectation la langue des mathématiques. On y rencontre des gens engagés et passionnés, car oui les mathématiques sont éminemment humaines !
[1] Revue générale des sciences, 1904, p. 431–440. Conférence faite le 3 mars 1904 au Musée Pédagogique.
[2] Voir par exemple l’article d’Évelyne Barbin, L’enseignement des mathématiques aux jeunes filles et les stéréotypes de genre, Repères – IREM. N° 97 – octobre 2014.
[3] L’Homme qui défiait l’infini (Matthew Brown 2015), Imitation Game (Morten Tyldum 2014), Secrets of the surface(George Csicsery 2020).